Un bar ouvert de midi à minuit… et au-delà
Midi-Minuit est un bar ouvert, comme son nom l'indique, sans interruption de midi à minuit, avec la possibilité de boire un cocktail en pleine journée. Eu égard au quartier où nous sommes situés, et avec l'offre de restaurant dans le même établissement, nous souhaitions créer un lieu ouvert, où l’on peut passer tant pour un rendez-vous privé que d’ordre professionnel. C'est l’une des raisons qui ont présidé au choix de proposer une offre sans alcool développée, même si ce n’est pas le seul motif. J’ai travaillé cette catégorie avec plus de formats, et de diversité selon les plages horaires.
L'ambiance du lieu a vocation à évoluer au fil de la journée – à l’image de la carte du bar. Cela débute avec une musique évoluant autour du jazz, mais nous souhaitons également que Midi-Minuit connaisse une vie nocturne, c’est pourquoi nous ne sommes pas forcément destinés à fermer à minuit, notamment grâce à la salle de bal de l’hôtel particulier qui communique avec le bar. Il m’importait de ne pas ouvrir un "bar de restaurant", mais un bar à part entière, et je suis heureuse qu'Alain Ducasse, lui aussi, soutienne ce projet. Il faut que le lieu ait sa vie propre, son indépendance, qu’il soit animé et festif, puisqu’il est placé sous le signe de l’art de la joie. Il faudra, par conséquent, aussi découvrir Midi-Minuit sous cette autre dimension, avec des soirées tardives, dansantes. C’est, notamment, ce qui m’enthousiasmé dans ce projet : à la fois un établissement de jour, très lumineux, avec de grandes fenêtres donnant sur une place avec de la verdure, et la possibilité d’une vie nocturne dans un quartier peu pourvu en bars à cocktails. On espère que les gens seront au rendez-vous.
Enfin, de nouveaux espaces ouvriront un peu plus tard – au printemps - dans l’hôtel particulier, mais il est encore un peu tôt pour en parler.
Une carte des cocktails sans concept appuyé
Je ne suis pas partisane des cartes très conceptuelles, car cela peut avoir tendance à vous enfermer. Certes, j’aime avoir un fil directeur, à condition que ce dernier ne soit pas trop contraignant ; je me laisse des libertés. En revanche, une attention sera toujours portée à la diversité des ingrédients, des spiritueux, et aux types de cocktails. Cela étant, le menu du Midi-Minuit a un thème sous-jacent, impulsé par Alain Ducasse et le chef Christophe Saintagne : la joie – ce qu’un cocktail est par essence, selon moi.
Autour de cette trame, j’ai ajouté une idée de synergie de tous les arts, avec la prise en compte de nombreux savoir-faire, du design à la cuisine, en incluant la verrerie. Pour l’instant, Midi-Minuit propose neuf cocktails sur le menu, même si une vingtaine ont été créés en amont, dont dix-sept furent validés. J’ai sélectionné les drinks en phase avec la saison, mais aussi en résonance avec la cuisine. Je veux tester ce qui correspond au lieu, à l’air du temps.
Toutefois, certains cocktails, comme le Negroni JMF (ndla : en référence à Jean-Michel Frank, grande figure des arts décoratifs de l’entre-deux guerres qui avait présidé à la décoration innovante de l’hôtel particulier de Charles et Marie-Laure de Noailles, où est situé aujourd’hui la Maison Baccarat) et l’Epinal ont déjà une identité forte et pourraient – à terme- devenir des classiques de l’établissement.
A propos de l’Epinal, j’ai ce cocktail en tête depuis la genèse du projet Baccarat. Il a été créé pour un verre spécifique – le Narcisse - dans lequel il est servi et correspond à l’idée de synergie des artisanats - verrerie, cuisine, taille de la glace – pour aboutir à un Martini à la française, avec des touches provençales. Mais il faut savoir s’effacer derrière son menu, le laisser vivre sa vie – même si l’on a des favoris.
Cependant, je ne me laisse pas totalement guider par la réussite, et si deux cocktails du même type connaissent du succès, je peux en retirer un pour créer un peu de frustration et encourager la découverte de nouveaux goûts.
Même si Midi-Minuit n’est pas un bar de restaurant, nous sommes une grande communauté ici, et j’ai envie que l’équipe se reconnaisse dans certains cocktails. Pour information, nous avons également une belle offre de spiritueux, centrée sur le whisky et le rhum, en dégustation.
Une indépendance avec le restaurant qui n’exclue pas la complicité
Midi-Minuit est vraiment indépendant du restaurant. Cependant, le fait de travailler dans un établissement doté d’une cuisine joue un rôle non négligeable. Cela double la quantité de matériel disponible, et nous partageons les connaissances, et parfois les idées.
Par exemple, si j’ai besoin d’une technique particulière, la cuisine peut m’y aider.
Je ne souhaitais pas forcément pratiquer le "pairing" avec la cuisine, toutefois nous proposons un cocktail sans alcool en accord avec un plat – ce qui est assez rare - dans le cadre d’un menu du restaurant. Vous avez, ainsi, la possibilité de participer à un déjeuner professionnel en ayant une expérience met-cocktail, mais exclusivement "spirit free". C’était une volonté de ma part, pour inciter à choisir cette option et découvrir que le "sans-alcool" peut, lui aussi, être élaboré.
Bien sûr, des drinks alcoolisés peuvent également être servis au restaurant, mais sans liens avec la cuisine.
Verrerie Baccarat : son influence sur la création des cocktails et le travail de la glace
J’ai vraiment beaucoup travaillé sur la verrerie, car celle-ci joue un rôle important. En effet, comme pour le vin, le contenant influence le goût et le nez du cocktail. Ici, à Baccarat, je ne pouvais pas finaliser mes cocktails avant de connaître la verrerie que nous allions utiliser, car celle-ci opère comme un écrin. Certains drinks ont même été annulés ou modifiés, car ils ne correspondaient pas aux verres disponibles – l’offre n’étant pas illimitée. Nous sommes très loin de ce qui se fait en ce moment dans le monde de la mixologie, avec un tropisme minimaliste. De plus, ces verres n’ont pas été pensés pour l’évolution de la glace, notamment l’usage de la clear ice.
Désormais, nous réfléchissons beaucoup à la façon dont le verre accueille la clear ice. Cette contrainte a été transformée en force. C’est pourquoi nous travaillons la glace (ndla : fournie par The Nice Company), à l’image de quelques autres bars parisiens qui ont un "ice program". A nos yeux, la taille de la glace est notre hommage au cristal, aux réflexions de la lumière sur le glaçon. Il y a des similitudes avec le travail du cristal que l’on voit sur les lustres. Cette formation autour de la glace a été très suivie par Raphaël Blanc, notamment grâce à son expérience passée dans d’autres établissements comme le Sherry Butt.
Travail en duo avec Raphaël Blanc
C'est vraiment très agréable de travailler en duo quand cela fonctionne aussi bien. Au sein du groupe Alain Ducasse, Raphaël est le responsable mixologie, et moi la cheffe en collaboration et en partenariat avec Alain Ducasse pour tout ce qui relève de la direction artistique et de la création des cocktails. Raphaël est vraiment la personne dont je ne peux pas me passer, avec qui je travaille dans une grande proximité. Il fait en sorte que tout fonctionne bien et trouve son application concrète. Ici, il sera toujours le référent numéro un, car c'est la personne avec le plus d'expérience. Mais ça ne lui enlève pas ses nombreuses autres responsabilités au sein du groupe.
Un processus de création sous le signe de la liberté
J'ai la liberté de décider de mon orientation. Ensuite, nous avons un système de dégustation collégiale avec Alain Ducasse, mais aussi le chef Christophe Saintagne, au terme duquel les recettes sont validées.
De manière générale, mes propositions ont connu peu de vetos. En me choisissant comme chef cocktail, Alain Ducasse connaissait mes goûts – proches des siens : un palais porté sur l’acidité et l’amertume, avec des aspérités.
Généralement, cela se tient à Combat. Nous y faisons un tasting avec le chef où je fais goûter, le plus souvent, beaucoup plus de recettes que ce que le menu requiert, et nous trouvons ensemble le fil conducteur. On valide, on rectifie. J’ai aussi besoin de l’avis de quelqu’un d’autre, car je créais toute seule, donc je fais goûter aussi à Raphaël dans un second temps, puis à Alain Ducasse pour terminer.
Sortie des Signatures dans les établissements d’Alain Ducasse
C’était un peu l’objectif numéro un de la signature avec Alain Ducasse : la sortie des Signatures, c’est-à-dire un menu de cocktails disponible dans toutes les adresses d’Alain Ducasse. Tout a été pensé pour proposer une mixologie très pointue qui puisse être servie tant par la sommellerie que le service.
Il y aura de la clear ice dans tous les restaurants, ainsi que de la verrerie à cocktail. Cela commencera par tous les établissements du groupe en Ile-de-France. Alain Ducasse expliquait que si nous "signions" ensemble, il fallait que cela soit suivi d’effet, avec une offre concrète, et non pas un simple artifice de communication.
Ouvert tous les jours, de midi à minuit (voire plus)