Quel intérêt trouver à une nouvelle adresse, à l’avant-garde de son art et probablement comme souvent, un poil en avance sur son temps ? Cette fois-ci, beaucoup. Car De Vie est selon moi un révélateur et un baromètre de l’état dans lequel le monde du bar en France - plus largement dans le monde - se trouve aujourd’hui. Sinistré par le Covid, les difficultés à trouver du staff qualifié, des gens passionnés pour s’impliquer corps et âme dans un métier incroyablement riche humainement, terriblement rude physiquement et psychiquement ; on pourrait croire parfois que l’âge d’or du bar français est passé, la tendance avec lui.
La réalité est toute différente à mon sens. L’évolution logique, après la découverte, l’émerveillement et la normalisation du cocktail en France, est à la rationalisation. Tout ce qui est élitiste dans le monde culinaire, finit par se retrouver uberisé et simplifié, pour le rendre accessible. Pas étonnant en l’état, que les cocktails à la pression, en bouteille, en festival, dans les PMU, les bars à concept, les établissements de copains, les néophytes dans leur salon, les plus grands récompensés du Best 50, tout le monde s’y mette.
S’il y a encore des personnes pour en douter, la consommation de cocktail en France est très largement inférieure à ce qu’elle pourrait être, cette culture est bien trop nouvelle dans le paysage pour que nous soyons à saturation.
Et c’est là qu’interviennent inévitablement des phénomènes qui paraissent contraires mais sont en fait le résultat de la même situation. La neutralité et la normalisation du cocktails vont nécessairement faire émerger des extrêmes, la société actuelle étant en plus très prône à la polarisation.
Nous voyons émerger de très bons bars “dits PMU ou comptoir” qui n’ont d’autre prétention que vous faire passer un bon moment. De l’autre côté du spectre, des bars à mixologies qui poussent toujours plus loin les concepts au point parfois de perdre leurs propres adeptes. Tous ont leur mérite et leurs clients des attentes en adéquation.
Côté propriétaire d’établissements, cette accélération pose énormément de questions. Avant il suffisait de rentrer dans le courant et d’y voguer, de jouer avec les mêmes codes que tout le monde, nul besoin d’être spécial puisque le cocktail l’était pour vous ; nouveau, beau et intéressant.
Mais las de la course aux honneurs et aux spotlight, toute une génération s’est retrouvée fracassée sur le mur du Covid-19, mis en face d’une réalité difficile à accepter. Non seulement, le monde du cocktail n’est pas encore la panacée, mais surtout, à force de nouveautés, le public s’est épuisé, à commencer par les propres acteurs d’un milieu en perpétuelle effervescence.

Et De Vie dans tout ça ? Alex Francis et Barney O’kane ont fait le pari de nager avec et contre le courant à la fois. Dans un monde encore trop souvent convaincu que vendre son âme est la clé de la rentabilité, ils misent au contraire sur le terroir et l’authenticité pour construire une expérience riche, non seulement gustativement, mais qui pourra s’affranchir totalement du story-telling. Pourquoi inventer devant un logiciel comme Powerpoint, ce que l’on peut simplement puiser dans le quotidien des producteurs, fournisseurs et partenaires que l’on choisit de faire travailler pour approvisionner un établissement qui est un gagne-pain autant qu’il est une seconde peau ?
Aucune marque n’est réellement visible, aucun artifice ni totem habituel. De Vie est complexe dans sa simplicité, un lieu, des gens, du goût. Et c’est tout. C’est une extension de l’équipe, les process et la manière d’être ni forcée, ni prétentieuse, ni feinte ; naturelle et donc évidente. Que l’on aime ou que l’on aime pas, la beauté d’un établissement comme celui-ci réside toute entière dans l’osmose entre l’idée et la réalisation.
Si doute subsistait, on peut donc bien être indépendant, proposer un concept aussi qualitatif que beau et dans les attentes des plus exigeants et geek. Le tout, en ne transigeant sur aucune qualité dans le sourcing, les choix de producteurs, d’artisans, à tout niveau.
Il ne suffisait peut-être finalement, que de le faire.
C’est parti pour De Vie.
75002 Paris, France