Un concept low ABV dicté par le choix des produits.

J’ai travaillé au Andy Walhoo avec Matthieu (NDLA : Matthieu Biron, cofondateur de Fréquence) et nous avions beaucoup apprécié l'atmosphère assez festive - avec une offre cocktail – de l’endroit. Notre projet d'ouvrir un établissement remonte à 2016 et il y avait déjà eu, à cette période, une belle vague de créations de bars à cocktails.

Les cocktails rentraient dans la culture française et il fallait essayer de se démarquer. On voulait un bar où les cocktails n’étaient pas l’unique motivation pour venir. Dès lors, la musique a été la clé : nous étions tous passionnés et il fallait, par conséquent, que celle-ci soit la première raison pour venir dans notre bar.

Ensuite, l'orientation « low ABV » et alcools japonais ne figurait pas dans notre projet initial. En effet, nos premières cartes ressemblaient plutôt à ce que j'avais l'habitude de faire au Sherry Butt,  ma principale source d’inspiration alors. C’est donc le fruit d'une rencontre avec Adrienne Saulnier-Blache (NDLA: la fondatrice de la société de distribution Madame Saké), laquelle est arrivée avec des produits que nous connaissions déjà - comme les shochus et le yuzushu - mais d'une qualité remarquable et avec une approche assez différente de ce que nous avions l'habitude de goûter. On s'est donc laissé guider par sa gamme, en goûtant des alcools plus méconnus, comme les sakés non filtrés ou les shochus d’orge.

Nous étions un peu les premiers à entrer en contact avec elle, et la possibilité de toucher à des produits que l'on n'avait pas l'habitude d'avoir nous a, logiquement, mené sur une nouvelle route. La nature plus délicate de ces ingrédients conduisait à reconsidérer notre manière d'équilibrer les cocktails, et commandait une nouvelle approche. Nous venions, tout naturellement, de trouver notre créneau.

Absence de carte thématique.

Les menus conceptuels, c’est une bonne idée - et chaque bar doit développer sa propre identité - mais cela ne correspond pas à la philosophie de Fréquence.

Comme nous souhaitions pousser la dimension musicale de l’établissement, il ne fallait pas imposer aux clients une vision trop appuyée des drinks. En effet, nous ne nous adressons pas uniquement aux amateurs, et il importe que la personne qui n'a jamais goûté un cocktail ne se sente pas perdue ou prise au dépourvu devant une carte un peu trop complexe. D’où une approche assez minimaliste, avec une bonne lisibilité.

Le nombre d'ingrédients utilisés par cocktail est limité. L'idée de Fréquence est la suivante : venez, on écoute de la musique,  nous proposons des cocktails, mais aussi de la bière, du cidre. Le mot clé, c’est la simplicité, et avec des menus très thématiques, cela devient plus compliqué d'avoir une telle approche. C'est la raison pour laquelle on n'a jamais invité d'autres bars ou fait des "guests" : les cocktails entrent dans le concept du bar, mais ce n'est pas son unique raison d'être. Cela explique pourquoi nous sommes un peu éloignés de la scène cocktail et des classements, même si cela nous a, bien sûr, fait plaisir de figurer dans le Top 100 (NDLA : Fréquence a été classé 96e aux 50 Best Bars 2021).

Le public tend à être différent selon la période de la semaine, mais nous nous efforçons d’avoir le même menu, même si c’est contraignant. La clientèle de soirée – nous sommes ouverts jusqu’à 4h du matin les vendredi et samedi - vient pour la musique, danser et s’amuser. Et, même si la carte a été organisée en ce sens, nous sommes très agréablement surpris, car les cocktails restent numéro un de nos ventes.

Nos marqueurs, sont le Gin Tonic et le Moscow Mule. S’il s’en vend trop plusieurs weekends de suite, cela signifie que notre offre n’est plus conforme aux attentes des clients et il convient de retravailler nos propositions.

Une expérience cocktail réussie n’est pas uniquement gustative.

Un cocktail est-il meilleur avec de la bonne musique ? Assurément ! Que ce soit un cocktail, un vin ou de la nourriture, tout ce que l'on consomme correspond à un moment. Et, selon moi, le moment prime ; le goût représentant 30 % environ de l’ensemble.

Ensuite, de nombreux éléments interviennent : la verrerie, une assise confortable, la bonne température dans le bar. Par exemple, quand on boit du pastis en vacances dans le sud, le même produit aura moins de charme à Paris en hiver. Pourtant, il est identique, mais l'ambiance change tout.

Au début, Fréquence, était ouvert les dimanche et lundi, et ces jours étaient très calmes, avec des clients essentiellement au comptoir. On parlait beaucoup avec eux - plus musique que cocktails - et on finissait par jouer les disques susceptibles de leur plaire. Ces personnes vivaient une belle expérience et revenaient parce qu’on leur faisait découvrir des artistes, qu’il n'y avait pas beaucoup de monde - donc le son était enveloppant – tout en buvant des drinks soignés. Cet ensemble harmonieux concourt, lui aussi, à la réussite du moment de dégustation.

Auparavant, le barman était un peu trop en surplomb, voire condescendant. Je me rappelle - il y a dix ans – qu’on évoquait souvent la nécessité d’« éduquer les gens ». Ce n’est pas un terme qui me convient. On s’efforce de proposer quelque chose qui va plaire ; ce n’est pas une éducation.

Aujourd’hui, les clients connaissent mieux cet univers, donc nos rapports sont plus égalitaires, horizontaux, et c’est agréable.

Une rotation de la carte selon la saisonnalité et au gré des envies.

S'agissant du renouvellement de la carte, on ne s'impose rien, si ce n'est de coller à la saison. Nous travaillons avec le maraîcher de notre rue, et ce dernier fonctionne en circuits courts. Tous ses producteurs sont situés dans la région parisienne, et quand certains ingrédients ne sont plus disponibles, nous passons simplement à autre chose. Il a aussi des relais en Sicile, ce qui nous permet de bénéficier d'une large gamme de produits.

Si certains cocktails nécessitent des ingrédients sur des saisons très courtes - comme la cerise, les fraises, la rhubarbe - la carte changera très souvent, ce qui est moins le cas en hiver. Cependant, si l’équipe connaît un foisonnement d'idées en même temps, nous pouvons changer l’intégralité de la carte sans état d'âme. De même, lorsqu'un cocktail fonctionne très bien, cela finit par nous lasser et il sort du menu.

A l'occasion des six ans de Fréquence, on a remis les best-sellers des dernières années pendant une petite semaine, avant de proposer une nouvelle carte.

Quant au processus de création d’une recette, la plupart du temps c’est la découverte d’une épice ou d’un ingrédient qui va nourrir notre inspiration ; le spiritueux intervient le plus souvent en dernier. En revanche, les catégories vermouths ou apéritifs peuvent nous orienter dès le début de la réflexion.

Le Menu Cocktails des 6 ans de Fréquence, Paris

Construction d’une clientèle fidèle avec le temps.

Fréquence n’a pas connu un démarrage « explosif », le lieu s’est construit patiemment; chaque année étant meilleure que la précédente. Cela nous a permis de créer une clientèle fidèle et régulière au fil du temps. Par conséquent, nous avons assez peu ressenti les périodes difficiles, comme l’absence de touristes, et même le COVID... D'où le sentiment d’avoir bâti notre bar sur des fondations solides et qu’il est amené à durer.

Depuis la réouverture des vols internationaux, nous avons eu beaucoup d'articles à l'étranger. Il y a un an, la fréquentation était répartie à parts égales entre les touristes et les parisiens. Depuis, c’est cette dernière qui domine. Certes, la clientèle étrangère est formidable : enthousiaste et curieuse de découvrir notre travail. En outre, vacances obligent, elle regarde moins à la dépense. Mais, ce ne sont pas le mêmes rapports. Avec les parisiens, on apprend à connaître les goûts des personnes, une connexion est créée. C’est très appréciable. Bénéficier de la présence équilibrée de ces deux publics est un atout.

Ouverture prochaine d’un restaurant en Corse (avec une offre cocktails)

Je suis originaire de Corse et cela va faire 12 ans que je vis à Paris. Par conséquent, j’aimerais bien « retourner au pays ». Donc, avec Matthieu et Baptiste (NDLA : Baptiste Radufe, le troisième associé de Fréquence) nous nous associons pour y ouvrir un restaurant dès cette saison, dans lequel on va mêler ce que l'on a connu pendant toutes nos années d'expérience.

Il y aura des résidences de chef, en tout cas la première année. Nous disposerons d’un potager - ayant appartenu à mon grand-père – que l’on va exploiter pour le restaurant.  Au début, l’établissement sera ouvert uniquement pour la saison, car il s’agit d’un projet 100 % en extérieur, dans un jardin avec vue sur mer. Le coin est superbe.

Je serai donc là-bas à la belle saison, et ferai des allers-retours à Paris l'hiver pour donner un coup de main au bar. Cela va être une expérience nouvelle et assez intense de mai à octobre. Ensuite, le reste de l'année sera consacré à travailler le jardin, garder les graines, faire pousser des plantes l'hiver pour les transformer et les utiliser l'été au restaurant, mais aussi - pourquoi pas - à Fréquence.

Guillaume Quenza - 📷 Mickaël Adounrak Bandassak

A Porto-Vecchio - d’où je viens - tous ceux du même âge se connaissent et suivent les parcours de chacun en dehors de l’île. Beaucoup de personnes sont curieuses de découvrir cet univers du cocktail dans lequel j’évolue. Je vais donc amener mon expérience dans ce domaine.

Notre établissement sera essentiellement un restaurant, mais l’on va s’efforcer d'avoir une carte de six cocktails, très pointus, très travaillés. Assez logiquement, nous mettrons en avant des produits corses : plantes et aromates, mais aussi des alcools, comme les whiskies P&M, les liqueurs Mavela, et plus particulièrement le Cap Corse Mattei blanc, qui est l’un de mes coups de cœur depuis que je l’ai découvert il y a des années au Sherry Butt. Depuis lors, je ne cesse de l’utiliser sur toutes mes cartes. C’est une marque avec laquelle je suis ravi de travailler et qui a proposé de nous aider pour notre projet là-bas.

Par la suite, quand je serais posé, je ne m’interdit pas de rêver à la création d’un produit – sûrement un vermouth – local. Nous sommes très proches de Hedon Distribution et de son fondateur Cédric Kanté, et si cette initiative voit le jour, c’est typiquement le genre de personne que j’irai voir. Avec Fréquence et notre restaurant, nous devrions, alors, disposer de la structure suffisante pour « pousser » un tel projet.

📍
Fréquence : 20, rue Keller ; 75011 Paris
Ouverture : du mardi au jeudi, de 18h à 2h, et jusqu’à 4h les vendredi et samedi.
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