Pouvez-vous nous présenter le concept de Himkok ?

Paul VozaHimkok est la traduction de Moonshine en Norvégien. Le lieu a été fondé il y a presque dix ans – l’anniversaire est le 13 avril - par Erk Potur. Cela fait plus de 20 ans qu’Erk est impliqué dans tout ce qui relève de l’univers du cocktail et du pub en Norvège. L’un des plus gros établissements qu'il a lancés avant Himkok était Crowbar. Il s’agissait sensiblement du même concept, mais en brasserie : ils produisent leur bière, et nous, nos propres spiritueux : gin, vodka et aquavit. Toutefois, le cocktail permet de pousser encore plus l’idée, c'est plus délicat, plus complet.

Himkok comporte trois bars en son sein : le bar / distillerie, avec un service à table, haut de gamme ou de type Michelin, si l’on peut dire. C’est très bien pour les rendez-vous d’affaires ou amoureux, fêter un événement spécial, ou encore pour les amateurs de cocktails. Celui-ci est ouvert tous les jours.

Ensuite, au deuxième étage, se trouve le bar "High-Volume". On n’y sert que des "crowd-pleasers", type Espresso MartiniWhisky SourMoscow MuleIrish Coffee, etc. Là, nous acceptons des groupes de 25-30 personnes. L’ambiance est plus festive, avec des clients qui veulent avoir un cocktail servi en moins d’une minute – ce que nous parvenons à faire. Enfin, en été, nous ouvrons notre bar à cidre, où nous ne vendons que des cidres locaux. C'est une ambiance détendue. On peut même y fumer le cigare.

En fait, Himkok, à nos yeux, est un bar pour tout le monde, et cela se reflète dans la diversité de notre offre.

L’une de vos deux activités - bar et distillerie - prend-elle le pas sur l’autre ? Comment vous définissez-vous ?

Himkok est un bar, mais nous sommes en phase d’agrandissement. C'est-à-dire que oui, on est aussi une distillerie. Nous produisons environ 10 000 litres de spiritueux par an, à la fois pour nous, mais aussi pour d’autres bars et nos canettes de RTD.

La taille de notre distillerie – moins de 5 m2 – est, toutefois, une limite. La législation sur la vente d’alcool en Norvège en est une autre.

Oui, il y a un monopole d'État sur la vente d’alcool en Norvège ?

Exactement, comme au Canada, par exemple. Aussi, il nous est difficile de produire à Himkok, car le travail est très manuel : remplir les bouteilles, poser les étiquettes. Ce n’est pas optimal et il n’y a pas autant de profit à gagner si nous augmentons les volumes. C’est pourquoi nous cherchons actuellement une solution pour augmenter nos volumes de production.

Vous allez déplacer la distillerie située dans Himkok ?

Non, elle sera toujours là, mais avec une fonction de distillerie "pilote". Nous produirons toujours à Himkok, mais, pour les volumes importants, nous sommes en train d'étudier différentes pistes de développement. Nous pourrions, alors, mieux approvisionner le marché local, pour commencer. Et, si tout se passe bien, envisager d’exporter. Mais, il faudra voir comment organiser les partenariats, car pour réussir à l’étranger, il faut vraiment être sur place.

En outre, nous sommes en train de construire une distillerie dans le nord du pays pour y produire du whisky. Si l’on regarde où nous sommes situés, avec le changement climatique, c’est pertinent. Et nous avons une qualité d’eau très pure. Cela peut même élever le produit. L’eau est très importante, on le constate même pour nos cocktails. Quand nous faisons des "guest shifts" à l’étranger, on apporte nos cocktails avec de l’eau norvégienne et la différence est flagrante. Elle est minérale et très pure, même si c'est l'eau du robinet.

C’est la même chose avec nos canettes de RTD : nous utilisons cette eau grâce à la qualité de son traitement. C’est un authentique atout.

Les équipes du bar et de la distillerie sont-elles distinctes ?

Dans la distillerie, nous avons un Head Distiller avec un certificat qui, lui, ne travaille pas derrière le bar. En revanche, nos bartenders ont toujours l'option de travailler avec lui, de développer de nouvelles recettes ou de produire des distillats pour les cocktails.

En outre, les personnes qui viennent boire à notre bar nous donnent leurs avis et cela peut influencer la distillerie. Par exemple, l’une des premières versions de nos gins a été faite grâce à cela : les impressions données aux bartenders par les consommateurs, ce qu’ils aimeraient voir plus présent dans le gin. En fait, c'est un aller et retour permanent. C'est ainsi que notre gin a été développé. Il y a une véritable symbiose entre la distillerie et le bar.

Vous produisez du gin, de la vodka et de l'aquavit. Avez-vous une seule version de chaque spiritueux ?

Himkok propose différents gins : un dry, un Old Tom… Nous avons aussi conçu un Seaweed Gin – aux algues. Idem pour l'aquavit : une version d'automne et notre aquavit de référence.

Nous avons, également, fait vieillir notre aquavit dans des fûts de vermouth. Avec Linie (ndla : marque norvégienne), nous avons amorcé une collaboration et ils ont disposé notre aquavit en mer pendant six mois. En revanche, nous n’avons qu’une seule référence de vodka, que nous ne produisons pas en grand volume, car ce sont nos gins qui se vendent le mieux.

Vous ne vendez pas vos bouteilles de spiritueux en dehors du bar ?

Nous le faisons, mais pas à grand volume. Il y a des cours à Himkok, et les clients peuvent acheter directement. Ils passent commande auprès de nous, mais ils doivent récupérer la bouteille dans le magasin contrôlé par l'Etat. On trouve aussi notre aquavit et des versions spéciales - comme celui en fûts de vermouth – en petite quantité dans des magasins. Pour rappel, le monopole d’Etat intervient au-delà de 4,7% vol.

Vous proposez une carte des cocktails très conceptuelle. Pourquoi ce choix ?J'avais lu que vous trouviez votre menu actuel avec de jeunes musiciens très utile pour vous faire connaître par une nouvelle génération.

Voilà. En fait, c'est l'idée. Himkok va avoir 10 ans. Les clients qui venaient dans le bar deux ou trois fois par semaine - il y a environ cinq ans - sont maintenant en famille. Or, en Norvège, la législation est très stricte, nous n’avons pas le droit de faire du marketing, de parler d'alcool, de poster des photos de cocktails. Bref, on ne peut pas communiquer ! Mais grâce à ces cartes conceptuelles, grâce à l'art, la photographie, grâce aux musées, à la musique et la mode, nous parvenons tout de même à parler de nous.

Avec la carte actuelle Beats & Sips, nous pouvons toucher des personnalités influentes et cela se ressent au bar. Donc, c’est un atout. En outre, par ce biais, nous faisons la connaissance de personnalités en dehors de notre industrie, ce qui est certainement le plus important : cultiver plus de contacts, proposer plus de collaborations.

Concrètement, comment s'est construit ce menu Beats & Sips ?

Grâce à notre menu précédent, une personne qui a travaillé avec Himkok nous a dit : "j'ai une idée pour votre prochain menu, on va faire de la musique". Elle avait les contacts avec Sony Music - qui est la plus grosse maison de disque en Norvège - et cela a abouti à huit artistes qui ont interprété nos 13 cocktails en version musicale. Après, dans les chansons, on leur a demandé s'ils pouvaient dire les noms des marques, comme Patron ou Bacardi.

C'est un véritable atout pour nos partenaires, car il s’agit de marketing légal. De ce point de vue, nous sommes gagnants, et, en plus, ces artistes ont entre 21 et 30 ans, ce qui correspond à la tranche d’âge que nous cherchons séduire.  Aucun de ces artistes-là n'avait été Himkok auparavant ! Comme ils sont très suivis, cela a eu un impact sur l’âge de notre clientèle.

Ensuite, proposer de très bons cocktails, nous savons le faire sans difficulté. Aujourd’hui, Himkok est devenu beaucoup plus qu'un bar. C'est 10% de cocktail et 90% ce qu'on construit autour.

Combien de menus proposez-vous par an ? Un par saison ?

Non, c'est un menu par an, 13 cocktails, et tous les cocktails doivent avoir une vie d'au moins un an – "vacuum bag style".

Dans ce contexte, comment se pose la question de la saisonnalité ?

Selon moi, ce sujet de la saisonnalité ne fait aucun sens. Il y a plus de gaspillage, de déchets que lorsque l’on transforme les ingrédients. Cela peut s’appliquer dans un restaurant, mais pour le bar, nous préférons avoir recours à des produits déjà transformés. Nous travaillons beaucoup avec des acteurs locaux, qui produisent de très bons vins de fruits, et nous achetons des ingrédients qui ont été congelés au meilleur moment. Et quand on les décongèle, avec l'alcool, cela créait vraiment de très bonnes saveurs.

Nos cocktails ont une vie d'au moins un an, donc, ainsi, nous n’avons pas de déchets. Certains bartenders font des sirops toutes les semaines, et jettent énormément d’ingrédients produits pour rien. Résultat, il y a du gaspillage de toute sorte (matière première, électricité…). C'est bien de mettre en avant ce type de pratique, mais si c’est pour ne pas tout vendre, cela n’a aucun sens. Et changer le menu tout le temps, cela a un coût. Donc, là non plus, cela n’a pas de sens. Pour nous, à Himkok, le plus important, c’est la constance. Quand un client goûte un cocktail en janvier, il doit avoir le même goût s’il revient en juin. Ça, c'est super important. Enfin, pour ce type de pratique, il faut mobiliser du personnel. Or, les salaires sont très élevés en Norvège. Economiquement, ce n’est pas viable.

Justement, quel est l’effectif du bar ?

Nous sommes 13 personnes. Jeudi, vendredi, samedi, quand l’ensemble du bar est ouvert, Himkok a une capacité de 450 personnes. Souvent, lorsque nous expliquons combien nous sommes pour gérer un tel nombre de clients, nos interlocuteurs ne comprennent pas comment nous y parvenons. Mais c’est parce que nous sommes très bien organisés. Chacun sait ce qu’il doit faire.

Quelle est la répartition entre Norvégiens et autres nationalités dans votre équipe ?

L’équipe compte quatre Norvégiens et autant d’Italiens.  Il y a, également, deux Français – en me comptant -, un Suédois et un Slovaque, Maroš Dzurus, notre bar manager. Nous communiquons en Anglais entre nous, c’est très important pour éviter que certains se sentent mis à l’écart. J’ajoute que si une personne a travaillé dans un autre bar qu'on connaît déjà, normalement, on ne la recrute pas. L'industrie d'Oslo est très petite, et tout le monde se connaît. Nous préférons former quelqu’un à partir de zéro ou engager des étrangers.

Avez-vous un cocktail signature ou un cocktail qui reste en permanence sur la carte ?

Oui, tous les ans, on conserve un cocktail du menu précédent qui s’ajoute à la carte de l’année.

Comment se caractérise la "drink culture" en Norvège ?

Les choses ont changé. En ce moment, ça va, on a un bon bar, avec une bonne réputation. Nos chiffres ont baissé, mais c'est normal, car l'inflation et la situation économique n'aident pas vraiment. Mais les gens boivent moins qu'avant ; ils sortent plus tôt et rentrent tôt chez eux. C'est appréciable pour notre équipe, car auparavant, le bar ouvrait tous les jours de 17h à 3h du matin, et après le Covid, on a rechangé nos heures. C'est-à-dire dimanche, lundi, mardi, on ouvre à 17h et l’on ferme à minuit, donc cela fait une différence. Mercredi, on reste ouvert jusqu'à 1h du matin, et jeudi, vendredi, samedi, de 17h à 3h du matin. Mais, il y a de moins en moins de clients tard le soir. La période des fêtes de fin d’année correspond au pic de fréquentation, car il y a toutes les tables de Noël des entreprises, etc.  Mais cette année, partout dans les bars, les restaurants, les commerces, beaucoup d'endroits sont à moins 25% ou 30% de ventes.  Nous avons limité la baisse, nous concernant, à moins 15%. Cela s’explique par une inflation très difficile et, la faiblesse de notre monnaie, la couronne norvégienne. Oui d'accord, la Norvège est un pays producteur de pétrole, avec des hegde funds, certes, mais la situation économique n'est pas au beau fixe.

Y a-t-il, comme en Suède par exemple, une loi imposant de servir de la nourriture avec l’alcool ?

Non, pas en Norvège. Heureusement. En outre, ici, consommer des plats avec des cocktails, ça ne va pas ensemble. Les Norvégiens vont au restaurant et boivent du vin ou de la bière. Boire des cocktails est une activité distincte.

En parlant de spécificité, abordons le sujet de l’aquavit. Est-ce qu'il y a un conflit de paternité comme on en trouve sur le pisco, par exemple ?

Tous les pays scandinaves ont leurs différents types d'aquavit. Le norvégien met en avant le carvi et doit être vieilli en Sherry Casks. Il y a des blancs, mais ça ne peut pas être considéré comme un aquavit norvégien. Il faut qu'il soit vieilli. Et 100% à base de pomme de terre norvégienne, tandis qu'au Danemark et en Suède, ils utilisent un alcool de grains, et les notes de fenouil ou d’aneth sont plus présentes.

Parfois, l’aquavit connait un regain d’intérêt, puis cela retombe ; c’est en dents de scie. Il faut savoir que, souvent, les Norvégiens ne boivent de l’aquavit que pendant des occasions festives. Ce n’est pas vraiment qu’ils n’aiment pas ça, mais à chaque fois qu’ils évoquent ce spiritueux, c’est associé à une fête de famille ou un mariage qui se terminent par une gueule de bois terrible. A notre mesure, nous essayons de changer cette image, notamment en rééduquant la jeune génération qui considère que c’est un alcool pour les "anciens". En ce moment, le spiritueux le plus consommé en Norvège est assurément le gin. Le whisky est assez présent, le rhum moins. Quant à la tequila et au mezcal, ce sont des catégories qui décollent.

Est-ce un spiritueux facile à utiliser en cocktail ?

Personnellement, j'adore l’aquavit. C'est très versatile. Un aquavit peut remplacer facilement un rhum, ou un whisky. L'aquavit non vieilli a le même ADN qu'un gin, avec le carvi à la place du genièvre. C'est un très bon produit. Grâce à Linie, nous avons fait une tournée au Danemark, en France et à New York pour démontrer la versatilité de l’aquavit. Avec des cocktails maison à base de gin, rhum ou whisky, nous remplacions tout par de l’aquavit. Cela fonctionne très bien. Par exemple, Linie vieilli en fûts de Madère ressemble à un rhum.

Himkok, c’est un spiritueux que nous mettons toujours en avant. Par exemple, nous réalisons notre Paloma avec de l’aquavit à la place de la tequila ou du mezcal et les clients adorent ça. Entre les canettes et nos KeyKeg (ndla : une marque de contenant en PET high-tech pressurisé et recyclable qui garantit la fraîcheur du liquide contenu), je pense que nous avons déjà produit 100 00 litres de ce cocktail.

Justement, pourquoi s’être lancé sur le marché du RTD en canette ?

Himkok est un bar avec une expertise reconnue dans le domaine liquide et nous avons commencé le segment RTD il y a environ cinq ans. A titre personnel, je peux dire que je connais vraiment tous les laboratoires  "Flavor Houses" d’Europe. Nous avons réussi à créer des RTD à partir de zéro, ce ne sont pas des recettes achetées.

Notre bar est quand même connu pour nos cocktails en draft, en KeyKeg. Mais il fallait changer cela, parce que ce n'était plus durable : à un moment, nous pressions 200 litres de jus de citron, 250 litres de citron vert. Donc, nous avons changé les recettes pour que cela soit plus tenable, à la fois financièrement et écologiquement. Désormais, nous n’avons plus de déchets, tout est déjà transformé. Nous avons remplacé la façon dont nous faisions nos KeyKeg. Nous avions débuté une collaboration avec une brasserie et ils ont adoré notre produit. Dès lors, on a commencé à travailler ensemble et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait voir plus grand et nous sommes entrés dans le marché du 4.7 ABV (ndlr : 4,7% vol.), car à ce degré d’alcool, une canette peut être vendue partout, pas uniquement dans les magasins d’Etat.

Vous avez réfléchi au degré d’alcool en fonction des modalités de distribution en Norvège ?

Nous avons été les premiers à prendre en compte cet élément dans l’équation : pourquoi aller dans les magasins d’Etat ? Les taxes sur l’alcool sont très élevées. C’est inutile. Il faut choisir 4.7% vol., qui correspond au marché de la bière.

Nos trois produits remportent un vrai succès : Oslo Mule – clin d’œil au Moscow Mule -, Oslo Paloma avec notre propre aquavit, et aussi une sorte de RTD Energy Drink qui s'appelle Snake Bite, au goût de poire et avec les composés d’un Red Bull. Nous sommes distribués dans 492 magasins partout dans le pays et l’un de nos plus gros clients est la compagnie aérienne Norwegian. Ils vendent nos canettes à bord, dans les vols d’au minimum 1h30 - en dessous de cette durée, les passagers n’achètent pas. Parmi les RTD sélectionnés, c’est celui qui se vend le mieux.

Vous n’avez pas la tentation d’exporter ces RTD ?

Nous sommes en train d’y réfléchir. On peut sans problème produire 100 000 litres, 200 000 litres. Mais, nous prenons le temps, car, à ce jeu-là, une erreur et c'est fini. Il n’y a pas d’urgence.

Comment se porte la scène cocktail à Oslo actuellement ?

Comme partout, des établissements ouvrent et d’autres ferment. En Norvège, il y a beaucoup de bars à bière et à vin, et peut-être trois bars à cocktails notables en ce moment, parmi lesquels Ekspedisjonshallen, dans l'hôtel Sommerro à Oslo, qui a été construit il y a environ deux ans. Mais, dans l'ensemble, cela reste normal, rien de spectaculaire.

J’ai vu qu’il y avait un Cocktail Bars Court, à l’image des Food Courts ?

Honnêtement, c’est un concept intéressant. Mais on reste en Norvège, à Oslo, ce n'est pas New York, ou Paris. C'est une ville de 700 000 d'habitants, avec peut-être 50 000 personnes qui sortent. Donc, pour remplir un tel établissement, compte tenu de la concurrence… D’autant plus que c’est très grand.

Ils auraient besoin de touristes…

Oui, exactement.  C'est pourquoi nous sommes ravis de la reconnaissance dans les classements 50 Best Bars et Top 500 Bars. Quand des personnes de l’industrie viennent nous rendre visite, elles se rendent compte des épreuves et de ce que cela représente pour nous de ne pas être situé dans un pays ultra visité. Cela fait, tout de même, une grande différence.

Et la scène restaurant ?

Le restaurant, c'est pas mal. Ça bouge. Là aussi, ouvertures et fermetures se croisent. En Norvège, à Oslo, on compte beaucoup de restaurants, mais après, seuls une vingtaine bougent énormément. C'est un business difficile : il faut contrôler ses coûts, ses matières premières. En fait, en Norvège, vous savez, il y a le très beau restaurant étoilé Michelin - comme Maaemo – mais qui est loin d’être à la portée de tout le monde, et ensuite, des pizzas, kebab ou McDonald’s, et rien au milieu. Les restaurants avec des formules entrée-plat-dessert autour de 25 euros au déjeuner, par exemple, ça n’existe pas. Je connais beaucoup de personnes qui ont essayé d’ouvrir des bistrots à la française, des rôtisseries et à chaque fois, ça n’a jamais marché.

Quelle est l’histoire du cocktail en Norvège ? Est-ce qu’on y trouve des bars historiques, comme le Harry’s Bar à Paris ?

Selon moi, ici, les cocktails ont commencé il y a environ 10 ou 15 ans. Himkok était quand même l’un des premiers à ouvrir à l'époque. Auparavant, la scène bar comprenait surtout des établissements dédiés à la bière ou l’aquavit.

Himkok va fêter ses 10 ans cette année. Selon vous, quel est le secret pour durer ? Faut-il épouser les tendances ?

Ecouter le consommateur est primordial. "The consumer gets what he wants" à la fin. Dans notre carte de 13 cocktails, neuf sont très développés, mais nous ne nous étendons pas sur tous les aspects techniques, car cela ne va intéresser que les passionnés. La plupart des clients viennent dans un bar pour passer un bon moment, s’amuser. Et, avec un peu de chance, goûter de bonnes choses. Donc, tous nos cocktails sont des classiques avec un twist. Sauf le Vodka Energy Red Bull, qui est celui qui se vend le plus. Cela fait trois ans que ce drink est numéro 1 des ventes.

C'est celui que vous proposez aussi en RTD ?

La première mouture de ce cocktail se retrouve en RTD et, nous proposons deux autres versions au bar. En ce moment, c’est le type de boisson que les clients recherchent : Low ABV, "caffeineted", etc. Ce que nous savons très bien faire également, c’est jouer avec la mémoire de l'enfance.

Comme le cocktail évoquant le carrot cake ?

Exactement. Nous nous appuyions sur les souvenirs personnels. Et je trouve ça c'est très important. J'entends tellement de bartenders raconter qu’ils vont créer un nouveau concept, un nouveau cocktail et, à chaque fois, c'est trop poussé, il y a trop de saveurs différentes dans tous les sens… Les clients ne comprennent pas, sont perdus, donc ça ne marche pas. Il convient de rester simple, avec une bonne saveur, mais aussi, le plus important, une très bonne hospitalité.

Pour finir, revenons un peu sur votre parcours, comment vous êtes arrivé dans le monde du bar ?

Je suis franco-mexicain. J'ai habité Mexico, Chicago et Montréal pour faire mes études à HEC en marketing et finances. J'ai rencontré ma copine au Japon, pendant ma période d’échange, et j'ai déménagé pour elle en Norvège. Les débuts ont été difficiles pour moi, car trouver un travail en marketing, quand vous ne savez pas parler la langue locale… J'ai, donc, monté ma propre boîte de location d’appartements à court terme en plein cœur d’Oslo avec un Norvégien. Et, finalement, quelqu'un nous a tout racheté. Je dois dire que ma famille travaille dans l’agroalimentaire au Mexique et j'ai toujours voulu évoluer dans ce secteur. C’est pourquoi j’ai, par la suite, travaillé avec un chef étoilé pendant deux ans en cuisine. Nous avons eu une mission de consulting en externe, car les cuisines ne fonctionnaient pas très bien à Himkok. Pendant cette période, celui qui s’occupait des "prep" est parti et j’ai pris sa place. Cela fait huit ans, maintenant, et tout a changé depuis les débuts.

La partie R&D ne porte que sur le bar ou également la distillerie ? Est-ce que vous utilisez beaucoup le Rotavap, par exemple ?

Oui, nous travaillons avec le Rotavap, et aussi les centrifugeuses. Cependant, selon moi, le Rotavap est inutile. Ce n'est pas fait pour tout le monde. Beaucoup de personnes en achètent sans savoir vraiment s’en servir. Nous avons deux Rotavap et, quand nous créons des menus, on décide d’y avoir recours pour un ou deux éléments seulement. En plus, Himkok, a besoin de grands volumes de production, donc nous nous tournons plutôt vers la distillerie.

Nous clarifions beaucoup, car cela allonge la vie de nos produits, et l’outil le plus important, c’est la centrifugeuse. Je dis ça à tout le monde : "c'est l'outil le plus important dans un bar !". Mais je connais beaucoup d'autres personnes qui ont travaillé dans l'industrie depuis longtemps sans tous ces outils-là, et ils font de très bons cocktails. Cependant, pour nous qui sommes en Norvège - sans avoir accès à beaucoup de matières premières et de produits - nous utilisons ces machines-là pour extraire différentes saveurs. On transforme beaucoup. Toutefois, si nous habitions en Colombie ou au Mexique, nous n’en aurions pas besoin.

Pour passer à ce poste, il fallait déjà avoir des connaissances en la matière, non ?

Comme je l’expliquais, depuis mon enfance j’évolue dans le monde de l’agroalimentaire. Je connaissais donc à peu près comment cela fonctionne. En outre, j’aime beaucoup cuisiner. Et j’ai une grande proximité dans le travail avec Maroš, qui, lui, est dans le métier depuis 20 ans. Il y a une vraie synergie entre nous. Ensuite, on apprend dans les livres, en faisant des expériences, ou même en écoutant des chefs. Il y a tellement d’informations qu’à la fin, cela devient facile.

C’est un bon parcours et une belle histoire. Je pense sincèrement que nous sommes forts et nous avons pour ambition de continuer de grandir. Himkok est désormais plus qu’un bar, c’est devenu une marque.

Qui sait, peut-être ouvrirez-vous un second Himkok dans un autre pays et cela fera l’objet d’une nouvelle interview (rires) ?

Ah, ça, on ne sait jamais. On ne sait jamais…

📍
Himkok : Storgata 27, 0184, Oslo, Norvège

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