Un concept inspiré des Jazz Kissa

Depuis mes débuts dans la profession, j’ai eu envie d'avoir un bar où l'on peut passer des disques, écouter du jazz. J’ai rencontré Benoît Coulomb, alias, Benoît de Bonnefamille quand je travaillais à l'Hôtel  Particulier Montmartre, et c'est l'associé parfait. C'est un enfant de restaurateur et il est musicien. Au fur et à mesure de nos recherches, les bars audiophiles commençaient à prendre de l'essor dans la capitale, confirmant la cohérence de notre projet au sein de la scène parisienne.

Nous avons découvert les Jazz Kissa japonais ; des lieux ouverts toute la journée : pour déjeuner, ou prendre un café l’après-midi. Le soir, cela devient un bar où l'on vient écouter la collection de disques du patron. Ce concept est devenu une source d'inspiration formidable pour en faire le fil directeur de notre projet, en nous permettant d’y mettre beaucoup de ce qui nous tient à cœur.

📷 @quentintourbez

Mesures n’est pas uniquement un bar à cocktails.

Par son amplitude horaire, sa cuisine, sa sélection de vins, Mesures est plus qu'un bar à cocktails. En effet, l’établissement sera ouvert le midi - en semaine - avec un menu entrée-plat-dessert à 30 € conçu par notre chef, Cyril Pham. Ce dernier a une authentique culture japonaise, acquise notamment à Ogata et Dersou. En outre, il a été l'un des premiers Français à travailler au Guilo Guilo.

Le soir, nous proposons de petites assiettes réconfortantes, avec une trame japonaise, voire un peu « western », car l’influence américaine est présente dans les Jazz Kissa, où ils servent des hot-dogs, des salades César.

Enfin, le week-end, au déjeuner, le principe du menu unique perdure, mais un peu plus poussé du point de vue culinaire et en quatre services. Nous souhaitons proposer une offre de cuisine et de bar ambitieuses, d’où le parti pris de segmenter les séquences afin que l’une ne cannibalise pas l’autre. C’est pourquoi l’offre de cocktails, au déjeuner, sera volontairement restreinte, avec trois Highballs : un umeshu tonic à la fève de cacao, un whisky highball, et un highball au shochu. Ces boissons se prêtent mieux au midi, car assez faiblement alcoolisées.

Une carte des cocktails étoffée.

La carte ne sera pas trop centrée autour d’un concept. En revanche, elle est dense et se compose de trois parties, dont deux fixes : les signatures et les classiques. En effet, j’affectionne les endroits disposant de recettes « étendard », iconiques, que les clients sont heureux de retrouver, comme au Sherry Butt avec le Rônin, le Castor Club et son Chirac 95, ou encore Candelaria et la Guêpe Verte. Il m’importait, donc, que la carte dispose d’une partie fixe - les signatures - composée de recettes originales avec des ingrédients peu saisonniers.

Pour la partie dévolue aux classiques, j'ai sélectionné des drinks fréquemment commandés et qui me plaisent : Old Fashioned, Negroni, Daiquiri, Margarita, Dirty Martini, et Espresso Martini. Ce ne sont pas des recettes "twistées", c’est-à-dire un peu modifiées. Il s’agit de porter un soin particulier aux ingrédients utilisés, avec la meilleure technique - selon moi – sans s’éloigner de la trame du classique en question. Par exemple, s’agissant du Negroni, ce sera un assemblage de vermouth, de Xérès et de Madère pour obtenir le vermouth idéal pour ce cocktail. Même exercice avec les gins et les bitters ; puis je cuis l'ensemble sous vide. Mais cela reste un Negroni.

Ensuite, la dernière partie de la carte est saisonnière. Ici, la liberté est la règle : changements fréquents du contenu, micro-saisonnalité... Cela permet de ne pas nous ennuyer, et de répondre aux clients réguliers à la recherche de nouveautés. Il y aura donc six cocktails par partie, soit 18 en tout. C’est un menu conséquent.

Des ingrédients japonais, mais aussi des eaux-de-vie.

L’inspiration de Mesures commande le recours à des produits japonais. Cependant, même avec un autre concept, j’aurais opté pour une sélection identique. En revanche, ce qui va peut-être prédominer par rapport à d'autres bars parisiens, c’est une belle présence des eaux-de-vie : prunelle, framboise sauvage, marc de Gewurz…  Beaucoup de personnes ont un a priori négatif à leur sujet, mais si l’on en fait goûter, alors tout le monde aime ça. Cela se révèle plaisant à travailler en cocktail, car c'est très exubérant, aromatique, tout en étant facile d’emploi - contrairement à un saké ou un shochu, plus délicats. La présence d’une eau-de-vie se décèle immédiatement, et on peut même la servir en dash !

Un format de glace adapté à chaque cocktail.

Une attention particulière sera également portée à la glace. The Nice Company nous livre des cubes et des rectangles, et ensuite j’applique le taillage adapté à chaque cocktail, au pic à glace ou au couteau. C’est important, car on observe de grandes différences en terme de vitesse de dilution. Quand on taille la glace en forme de sphère avec le pic à glace, les petites irrégularités vont fondre assez vite, et ensuite l’ensemble ne va plus bouger. C’est idéal pour certains cocktails, mais pas pour d’autres. Si l’on ne veut aucune dilution, il faut former une sorte de parallélépipède un peu différent, auquel on va ôter le plus d’angles possibles pour atténuer au maximum les aspérités. C’est un peu empirique comme méthode, le fruit de la pratique, mais elle a fait ses preuves.

📷 @quentintourbez

Interaction avec la cuisine.

Le chef, Cyril Pham, fait partie des personnes avec lesquelles je préfère discuter. Même si le bar est un univers très dense, on finit par avoir une certaine lecture de la façon dont les autres établissements travaillent. Alors qu'un cuisinier n'a pas la même approche des produits. En plus, le bar dispose ainsi d’outils de travail différents. Les passerelles se sont faites facilement; les mêmes préparations pouvant être recyclées d'un côté comme de l'autre. C'est donc très stimulant pour la créativité.

A terme, nous souhaiterions proposer - le week-end au déjeuner – un pairing poussé.  Le cocktail sortirait des cadres établis - très peu alcoolisé, presque comme un bouillon - et ferait partie intégrante du plat. Il ne s’agirait pas un accord à proprement parler, mais l’assiette serait composée des éléments solide et liquide.

Cyril Pham - Mesures - 📷 @quentintourbez

Musique : une exigence analogue.

Pour nous, la musique dans un établissement est essentielle. Par fidélité à l’esprit de Mesures, nous souhaitons pousser les curseurs.  Tout sera analogique : les platines vinyles, mais aussi des playlists sur bandes ou cassettes. Le midi, l’ambiance sera principalement jazz, avec un peu de musique de film, et le soir, les genres sont ouverts. Ici, c'est le métier de Benoît.  Nous allons proposer à un certain nombre d’invités - pas nécessairement des DJs, mais des personnes évoluant de près ou de loin autour de la musique – de venir nous faire découvrir leurs disques. Peu importe si ce n’est pas mixé.

Par la suite, l’équipe peut s’amuser à organiser des dégustations de cocktails ou de vin en passant des morceaux et en essayant de voir si l’on ressent des différences, des notes, des goûts selon les fréquences musicales. Le goût étant l’un des sens les plus influençables.

📷 @quentintourbez

Parcours et expérience.

Avant 2016, 2017, j’ignorais que le monde du cocktail existait. Je suis entré dans le milieu du bar pour des raisons alimentaires et j’ai eu la chance d’être engagé par deux personnes qui possèdent l’une des plus grosses brasseries du Vème arrondissement. Ils se sont rendu compte que mes cocktails étaient un peu meilleurs que ceux des autres bartenders, et m’ont poussé dans ce sens, en m’offrant des livres par exemple.

Quand nous finissions tôt, l’un d’eux m’invitait dans les bars à cocktails à déguster ce que je voulais. J’ai été tout de suite mordu et j’ai compris que je voulais en faire mon métier. Par la suite, j'ai intégré le Castor Club, qui m’a formé, avant de devenir chef barman du Très Particulier (NDLA : le bar de l’Hôtel Particulier Montmartre) pendant deux ans. Par la suite, le COVID ayant mis un frein à mes velléités d'avoir mon propre établissement, j'ai été recruté chez Classique, dont la philosophie me plaisait ; c’est pourquoi j’ai adoré ce lieu. 

Et, finalement, cet emplacement pour Mesures s’est présenté. La belle histoire, c’est que les deux personnes qui m’ont fait découvrir les cocktails ont financé la majorité de l’endroit. La boucle est bouclée.

📍
Mesures - 58, rue de Saintonge 75003 Paris
Ouverture le 26 janvier 2024
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