Un menu autour du terroir français

Ce menu autour du terroir a pour objet de rendre hommage à la France. Au Moonshiner, nous avons toujours eu beaucoup de personnel italien, mais aussi du monde entier, et la France est le pays qui nous accueille. Nous avons donc travaillé sur les produits du terroir ou les traditions françaises et la carte sera une sorte de guide où chaque cocktail est un itinéraire, une promenade, un parcours pour découvrir les douze régions sélectionnées à travers un ou deux produits mis à l’honneur. La maîtrise technique nous permet d'exalter au maximum le produit pour présenter les particularités de la région, du territoire et des traditions.

Avec ce nouveau menu, nous inaugurons une série pour les prochaines années. Dans la mesure où notre concept global s’apparente à un guide hommage à la France, on peut très bien imaginer d’autres déclinaisons, comme une carte inspirée par des villes, par exemple.

Processus de création du menu Terroir

Il n'y a rien de facile dans ce monde. Aujourd'hui, les cocktails sont vraiment devenus comme des plats, et les techniques de travail sont vastes. Cette carte aura demandé du temps pour aboutir, environ quatre mois et demi, car nous avions la volonté de réellement arriver au cœur de chaque produit à mettre en lumière.

Chaque membre de l’équipe est important pour la création de recettes :  on partage et on valide tout. Sur le nouveau menu, les guidelines étaient données par deux de mes bartenders et le reste de l'équipe les a accompagnés dans le processus d’élaboration. Bien évidemment, nous avions des rendez-vous pour tester, définir ce qu’il fallait modifier. Il n’y a pas vraiment de règle pour trouver l’inspiration, mais quand j’étais plus impliqué dans la création, en tant qu’Italien, j’aimais partir de l’idée d’un plat.

A mes yeux, le partage des tâches est très important, il faut savoir déléguer. Un chef barman ne doit pas être impliqué dans tous les petits aspects de la vie du bar, précisément parce que les tâches à effectuer sont nombreuses. Mais, à terme, pour que le cocktail intègre la carte, il doit être validé par tout le monde.

Le choix d’un menu annuel et conceptuel

Ce nouveau menu a vocation à durer un an. Depuis l’année dernière, c’est notre politique, et ce pour deux motifs : d’abord, de nombreux clients souhaitent retester des cocktails sur un temps assez long ; ensuite certaines recettes emploient des ingrédients non saisonniers – comme le Champagne ou le houblon - et resteront, par conséquent, toute la durée de la carte.

Bien sûr, certains drinks seront soumis à la saisonnalité et il conviendra de modifier leur composition. Dans l'idéal, nous souhaitons en conserver la structure et simplement changer l’ingrédient indisponible, mais rien ne garantit que cela fonctionnera toujours ; il y aura certaines des choses à revoir.

J'ai pris la direction du Moonshiner en 2018 et, à l’époque, l'unique concept de la carte était la division entre cocktails avec ou sans whisky. Au fil du temps, on s'est rendu compte que les clients souhaitaient être accompagnés dans une direction, que nous leur racontions une histoire en leur expliquant les drinks. Nous avons alors commencé à proposer des menus thématiques, comme celui inspiré par les bouillons parisiens. Ce changement trouve donc son origine dans une demande de la clientèle, mais, désormais, il est aussi utile pour stimuler la créativité de notre équipe !

L'équipe du Moonshiner (Paris)

Toujours un privilège accordé au whisky dans les cocktails ?

Le Moonshiner propose plus de cocktails à base de whisky – Scotch, Bourbon ou japonais - que de n’importe quel autre spiritueux. Cela reste un marqueur du bar. Auparavant, il arrivait fréquemment qu’un client dise "faites-moi un cocktail, mais pas avec du whisky, car je n’aime pas son goût" et je faisais un petit pari en leur proposant de réaliser tout de même un cocktail avec ce spiritueux : si vous aimez, tant mieux, sinon, je vous le remplace par autre chose, et dans 80% des cas, cela fonctionnait.

Cela fait partie de notre travail de faire découvrir de nouvelles saveurs. Mais je pense qu’en l’état actuel du cocktail au niveau mondial, c’est plus le fait de proposer des cocktails bien équilibrés qui importe, et l’alcool intervient désormais en second plan.

Refonte de la carte des whiskies pour surprendre le client

Depuis les deux dernières années, je ressens plus d’intérêt pour les cocktails que la dégustation de whisky parmi notre clientèle. Peut-être est-ce dû au bel essor pris par les cocktails dans notre établissement ?

Nous avons, cependant, toujours des passionnés, c’est pourquoi va s’opérer une refonte de la carte des whiskies. En effet, aujourd’hui, dans ce domaine comme dans tous les autres, les clients veulent être surpris, découvrir quelque chose de différent, et ne pas boire ce qu’il a déjà vu 1000 fois. Donc, de 150 références actuellement, nous allons passer à 50. Parmi celles-ci, on comptera 30 références fixes, avec des étiquettes connues et rares, et 20 qui connaîtront une rotation annuelle, dont le changement interviendrait – idéalement – tous les Whisky Live.

Au sein de cette section mouvante, on trouverait cinq éditions très rares ou ultra premium. Mon ambition est de rééquilibrer la balance (en ce moment de 80 – 20) entre dégustateurs de cocktails et de whisky. Quand quelqu’un demande la carte des whiskies, on l’incite toujours à nous demander conseil pour essayer une distillerie qu’il ne connaît pas ou qu’il n’a jamais testée. J’aime consacrer un peu de temps au client amateur de whisky, discuter de ses goûts, lui faire sentir le produit parmi trois ou quatre de nos sélections. Etre de bon conseil, en somme.

Création prochaine d’une carte de classiques

Nous allons également lancer – certainement à brève échéance - une carte de classiques, car les clients nous sollicitent souvent à ce sujet. Ce seront nos propres recettes, c’est-à-dire que nous n’allons pas changer le cocktail, mais souvent il arrive qu’un même classique ait plusieurs recettes. Nous proposerons, donc, la carte des classiques du Moonshiner, incluant autour de 50 drinks. Il n’y aura pas d’ajouts d’infusion ou de modifications d’ingrédients par rapport à la recette originale, mais, à nos yeux, la meilleure version de celle-ci. Ce travail est déjà en grande partie effectué, puisque nous avons annoté au fil des ans nos réflexions et observations quant à nos préférences en la matière.

Sur la nouvelle carte, mis à part  "l’itinéraire", figurera, également, une partie dite "hors sentier" comprenant quatre cocktails vieillis en fûts. Ce sont des classiques retravaillés à notre façon, avec des recettes revisitées, dont le fameux Vieux Carré. Ce dernier est l’unique cocktail figurant à la carte depuis l'ouverture de l’établissement. Au départ, il était prébatché et embouteillé. Désormais on le fait vieillir dans un petit fût de 10 litres pendant au moins deux semaines. C’est un drink iconique qui reste encore très demandé, même si cela fluctue selon les saisons. Personnellement, quand des clients me demandent une suggestion après le deuxième ou le troisième cocktail, je leur suggère d’essayer celui-ci et il est fort apprécié en règle général.

Moonshiner, Paris

Pizzeria et cocktail on tap

L’idée a, évidemment, pour origine le concept de speakeasy, avec une pizzeria cachant le bar. Depuis toujours, l'échange se fait entre les clients du bar et de la pizzeria. Cependant, depuis trois ou quatre ans s’est créée une clientèle seulement pour la pizzeria. Depuis que j’en ai repris la gestion en 2020, avec le pizzaiolo, on a tout revu pour rendre l’expérience plus authentiquement italienne.

En outre, depuis quelques mois, j’ai fait installer une tireuse pour cocktail à la pression – un Spritz quelque peu revisité ; cela renforce l’identité transalpine et c’est très pratique, car l’emplacement est petit, et cela permet de proposer une forme d’apéritif. Il faut savoir que l’on ne peut pas manger dans l’enceinte du Moonshiner, mais qu’il est possible d’emporter les cocktails du bar dans la pizzeria. Cette dernière fonctionne bien, avec environ 100 à 120 pizzas par jour, mais évidemment l’essentiel du chiffre d’affaires se fait grâce au bar, car cela reste une petite pizzeria.

Une école italienne du bar ?

C’est vrai qu’il y a beaucoup d’Italiens dans le monde du bar. D’ailleurs, lors de la dernière cérémonie des Top 500 qui a regroupé un peu tout le monde du bar à cocktails à Paris, je me suis retrouvé dans un salon composé à 60% de compatriotes ! Selon moi, nous avons, par nature, une facilité d'accueil, d’hospitalité, tout en conservant le professionnalisme et le respect requis.

Pourquoi cela ? J’ai entendu quelqu’un expliquer que cela vient de l’enfance, des fêtes de famille. A Noël ou au jour de l’An, il y a beaucoup d’invités à la maison. Par conséquent, tout le monde est un peu stressé dans la préparation, mais l’on s’efforce de donner à chacun l’impression d’être chez soi. Et, finalement, cela se retransmet dans notre métier.

Je pousse tous mes barmans, Italiens ou pas, à parler avec le client – surtout s’il est seul : d'où vient-il ? Qu'est-ce qu'il fait ? Pourquoi est-il venu ici ? Et en fait, j'ai remarqué que pour un Italien, c’est assez naturel, je n’ai pas besoin de lui dire de le faire.

Enfin, l’Italie a une gastronomie assez vaste : non seulement chaque région a différents plats, mais même chaque ville au sein d’une même région. Le fait de posséder cette culture nous aide sans doute quant à la créativité. Encore une petite parenthèse : dans le monde gustatif, l'amertume est le dernier goût que le corps humain développe, car pour la nature, elle est associée au poison. Or, nous avons cette facilité ; cela ouvre certainement des horizons.

Coup d’œil sur la scène cocktail italienne : les vertus du dialogue entre bartenders

La scène italienne de bars à cocktail bar a connu un développement considérable depuis les six dernières années. La qualité a toujours été présente, car nombre de cocktail bars réputés aujourd'hui, comme Freni e Frizioni1930Jerry Thomas ou Antiquario ont dix, voire quinze ans d’existence, mais ils ont eu la bonne idée de collaborer entre eux, de discuter.

A mon arrivé à Paris, c’était également le cas : on discutait entre bartenders et s’échangeait des recettes, des découvertes entre collègues. Puis, cela a un peu changé et s’est plutôt refermé, à la manière de ce que j’avais connu en Italie. Heureusement, j’ai le sentiment que cela commence à s’élargir de nouveau. Rome et Milan sont les deux piliers de la scène cocktail bar italienne et le Roma Bar Show commence à être reconnu. La même démarche se réplique au niveau international : ainsi, entre Italiens, lors de ce type d'événement, on commence à s'échanger les contacts. Je pense que c’est la clé qui explique que le cocktail bar en Italie s’est beaucoup développé : cette collaboration, ce type d'échanges, de partage.

D’ailleurs, le Moonshiner va organiser des guests avec certains de ces établissements transalpins.

Davide Piccone Casa - Moonshiner

De Savona à Paris

Je suis originaire d’une petite ville de la région de Gènes qui s’appelle Savona – d’où est originaire la boisson à base d’agrume chinotto. Il y a 20 ans, j'étais au lycée et l’un de mes amis était en train d'ouvrir son bar. Je l’ai aidé à construire son établissement et un jour, il m’a proposé de venir travailler en extra. La créativité, le rapport aux clients : cela m'a d’emblée passionné au point de vouloir en faire mon métier. J'ai, alors, géré un cocktail bar, mais ma ville est assez petite et j’ai donc poursuivi en même temps des études d’expert-comptable par sécurité.

Par la suite, on m’a proposé de m’occuper d’un cocktail bar et restaurant de plage. Le projet était magnifique et fonctionnait très bien, mais les relations avec mon employeur n’étaient pas au beau fixe. En 2015, je suis venu à Paris pour des vacances voir des amis. A cette occasion, des opportunités de travailler se sont présentées et j’ai donc déménagé ici sans savoir parler le français.

En France, la profession de barman était déjà considérée comme un vrai métier, contrairement à l’Italie à l’époque. Et là, c’est devenu 110% de ma vie : j'ai débuté un peu comme barman, d’abord aux préparations puis de plus en plus au service - au fil de ma compréhension de la langue française. Aujourd’hui, la clientèle au Moonshiner est plus internationales, mais il y a neuf ans, la maîtrise de l’Anglais ne suffisait pas.

J’ai gravi les échelons avec le temps : barman, assistant bar manager jusqu’à manager de l’établissement aujourd’hui. Je gère également les achats pour tout le groupe (ndla : Liquid Corp, qui comprend également Dirty DickLouie Louie et Oxygen La Défense). Ma fonction de manager m’a permis de procéder à des améliorations. Ainsi, j’avais observé qu’en opérant une séparation stricte entre ceux qui s’occupent des préparations et le personnel affecté au service, chacun ignorait les impératifs de l’autre et depuis 2019, j’ai instauré le fait pour tout le monde de s’atteler à chacune des tâches, afin de mieux comprendre l’ensemble du fonctionnement du bar. J’ai aussi instauré quatre services par semaine pour l’équipe : 10 heures par jour, quatre jours par semaine et trois jours de repos.

📍
Moonshiner : 5, rue Sedaine ; 75011 Paris
Ouvert tous les jours, de 18h à 2h, sauf vendredi et samedi jusqu'à 3h
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