L’expérience Castor Club : de bons cocktails dans une atmosphère chaleureuse.

Le Castor Club a ouvert en janvier 2012.

Je ne parle pas de Speakeasy mais de bar discret sur l'extérieur, sans enseigne. En effet, c’était un parti pris de départ, car cet emplacement était déjà occupé par un bar dont la clientèle était habituée aux boissons médiocres, type whisky coca. Il est apparu que la discrétion permettrait de faire venir des personnes connaissant la nature de notre établissement. Nous souhaitions que les clients se laissent porter par la nouveauté, car c’était une autre époque : le public n’avait pas encore les codes du bar à cocktails comme aujourd’hui.

Quant au style cabane en bois, celui-ci a été choisi pour créer une atmosphère chaleureuse correspondant au nom du bar, inspiré lui-même par le castor comme animal totem. C’est pourquoi je n’ai jamais voulu installer une terrasse - même pendant la période de Covid – car, à mes yeux, l'expérience globale du bar repose sur l'ensemble de ces éléments : les drinks, le cadre particulier et la musique. Le cocktail sera peut-être aussi bon sur un trottoir, avec des voitures autour, mais l’expérience est altérée.

En résumé, l'expérience au Castor Club ne se limite pas à la boisson seule, mais englobe l'ensemble de l'univers du bar, de l'atmosphère.

De plus, nous sommes ouverts jusqu’à 4h du matin en fin de semaine, et parfois le jeudi, même s’il y a peut-être moins de public pour cela qu’auparavant.
Le Castor Club est situé dans un quartier avec un certain nombre de restaurants, d'hôtels et de bars, et, après 2h du matin, la clientèle est souvent issue de l’industrie, comme les équipes de Cravan (Saint-Germain) ou de la constellation de restaurants de William Ledeuil. Tous ne viennent pas forcément au-delà de 2h, mais après leur service pour boire un verre ou deux. Souvent, des couples ne travaillant pas dans le même établissement se retrouvent ici ensuite pour débuter le week-end.

Une carte pour moitié permanente

Chacun doit pouvoir s'exprimer à travers son menu et il importe que tout le monde ne propose pas la même chose, que cela soit avec des menus thématiques ou axés autour de la saisonnalité.

Au Castor Club, sur les 12 propositions à la carte, la moitié des cocktails reste toute l'année, et l'autre moitié change en fonction de la saison. En outre, nous proposons également le cocktail de la semaine.

Conserver une partie stable de la carte est un atout, car une clientèle d’habitués se plaît à retrouver des cocktails qu'elle connaît et apprécie. Ce sont un peu les classiques de la maison, à l’image du Chirac 95.

Cela fait plus de 10 ans que l'on est ouvert et il peut très bien se trouver des clients de retour sept ans après leur dernier passage et ils sont contents de retrouver des cocktails leur ayant plu.

Bien sûr, il se peut que nous procédions, parfois, à de petites modifications pour convenir au goût de l'époque, en "désucrant" certaines recettes par exemple. Mais cela reste des petits ajustements.

Comment détermine-t-on qu’un cocktail est emblématique d’un bar ? En fonction des ventes, s’il a marqué les clients... Typiquement, quand un client découvre un cocktail et revient une autre fois avec des amis en insistant pour que ces derniers goûtent ce cocktail précis. Sans oublier qu'il peut aussi y avoir une dimension affective de ma part.

En ce qui concerne la partie modulable de la carte, parmi les six cocktails présents, le changement porte sur trois recettes tous les deux mois, en fonction de la saisonnalité et de ce que nous souhaitons travailler.

Nous veillons, toutefois, à conserver certains spiritueux sur le menu. Par exemple, si l’on change un cocktail avec de la tequila, nous proposerons un autre type de drink avec le même alcool ou un spiritueux très proche. Cependant, nous n’avons pas réellement de canevas préétabli. Assez logiquement, on proposera un peu plus de long drinks en été, et en hiver, il y a toujours un cocktail chaud.

L’idée centrale est d’offrir de la diversité sur le menu.

Cultiver une part de mystère pour susciter un dialogue avec les clients.

Sur notre carte sont inscrits le nom du cocktail et ses ingrédients ; pas d’indications à propos des saveurs. C’est un choix réfléchi, motivé par la relation client que je souhaite instaurer.

En effet, le Castor Club ne dispose pas de serveurs : les clients sont tous au bar et parlent avec les barmen. Une carte ne fournissant pas d’emblée toutes les informations a pour objet d’instaurer un dialogue et d’éveiller la curiosité.

La philosophie est similaire avec les bouteilles du back bar, où nous avons uniquement des marques quasi inexistantes en grande distribution. Ainsi, les clients perdent un peu leurs repères et cela les amène vers des goûts nouveaux, sans pouvoir se réfugier vers des produits rassurants, déjà connus.

De même pour les cocktails sans alcool : absents de la carte, ils sont réalisés à la demande, en suivant les orientations souhaitées par les clients.

Le cocktail de la semaine comme voie d’expérimentation

Le cocktail de la semaine permet d’être un peu plus expérimental : essayer des techniques innovantes, de nouveaux produits et voir comment les clients réagissent.

Bien sûr, avant de sortir un cocktail, celui-ci est goûté par toute l’équipe. Par la suite, je le modifie très régulièrement, ce qui nous permet de regoûter et d’ajuster au plus près, tout en observant les réactions, si cela plaît ou non.

Nos clients habitués peuvent même, parfois, participer : en début de service, s’il y a quelqu’un que l’on connaît bien, on lui fait goûter pour obtenir son avis. La progression est ainsi plus rapide.

Cette formule du cocktail de la semaine fonctionne bien : cela intéresse et nous incite à être toujours en recherche de nouveauté. C’est un résultat collectif, mais éventuellement, aussi, l’œuvre d’un barman qui aura vraiment travaillé seul son cocktail. C’est l’occasion pour lui de proposer – après validation - aux clients, pendant une semaine, une recette véritablement personnelle.

Des sources d’inspiration diverses

L’inspiration naît des éléments les plus divers : un produit découvert dans un salon dont on se dit que l’on souhaiterait le travailler, une technique à mettre en avant, voire le nom du cocktail.

Par exemple, la recette du Banana Flip - actuellement sur la carte – est inspirée de son nom. Celui-ci commande deux ingrédients : la banane et un œuf, mais le reste était libre.

Il convient d’avoir une idée de base pour, ensuite, la développer en fonction des produits et des techniques disponibles. Mais parfois, on peut très bien avoir envie d'avoir un cocktail qui aille dans une ambiance précise.


Savoir évoluer sans perdre son identité pour durer

Je ne pense pas que l'on pourrait lancer le même type d’établissement aujourd'hui : un bar à cocktails un peu confidentiel, sans offre de nourriture, où l'on ne sert ni bière ni vin, mais des spiritueux en dégustation.

Le Castor Club a connu assez peu de changements depuis dix ans - même la playlist a perduré – pour conserver son l'identité.

A l’ouverture d’un bar, on ne sait jamais exactement ce qu'il va advenir, car l’on construit avec les clients, surtout la première année. Il est nécessaire de s'adapter, de comprendre ce qui fonctionne, et comment faire pour engager les clients avec nous, les faire revenir, leur faire plaisir et donner envie de parler du bar autour d'eux pour se faire une réputation.

Une fois ceci fondé, mieux vaut ne pas tout perturber, puisque ce sont les raisons du succès.

Par exemple, actuellement, les cocktails low ABV sont en vogue, mais nous avons préféré garder les recettes un peu comme nous les confectionnons depuis le début, c’est-à-dire des verres un peu plus chargés, avec des goûts d'alcool assez prononcés.

De même pour l’usage du Rotavap : tout le monde s’est sert désormais. C’est amusant, mais cela uniformise, parfois, un peu trop les drinks selon moi.

Deux nuits par semaine derrière le bar

J’officie derrière le bar les mardis et mercredis, en général. J’aime ça, et il faut dire que ce n’est pas un rythme trop soutenu. C’est l’occasion d'avoir un rapport direct avec les clients, mais aussi de travailler avec l'équipe des bartenders : Louis Bonnevie et Krennen Martinez.

Être ensemble pendant une soirée entière nous permet de discuter, de faire des essais de recettes pour les futurs cocktails ; les échanges sont différents de ceux que l’on peut avoir lorsque je me contente de passer.

En outre, cela offre de conditions de travail plus agréables (4 jours par semaine) aux barmen qui compensent les amplitudes horaires plus importantes liées à la fermeture tardive le week-end.

Une école Castor Club ?

Y a-t-il une patte Castor Club ? Je crois que c'est aux personnes qui ont travaillé ici qu'il faudrait poser la question (rires).

Je ne suis pas exactement certain de la réponse. Je retrouve parfois de petits éléments dans les recettes d’anciens de l’établissement, mais dans la mesure où cela a toujours été un travail collectif, ça ne m’appartient pas.

Lorsqu’un barman travaille ici, je lui explique mes idées et lui demande de les suivre. Donc, cela doit sans doute infuser quelque peu. Il est vrai que Guillaume Castaignet – cofondateur de Mesures - et Raphaël Blanc – chef barman du groupe Ducasse Paris, aux côtés de Margot Lecarpentier (NDLA : également fondatrice du bar Combat) - ont commencé le cocktail avec moi.

J'ai certainement eu un peu d'influence, mais ils sont curieux de nature et ont connu d’autres expériences professionnelles par la suite. D’ailleurs, ils confectionnaient déjà de très bons cocktails au Castor Club.

Le cocktail comme mode d’expression personnel

J'avais ouvert un café-bar-restaurant très classique en 2005 et je souhaitais quelque chose d'un peu plus personnel, avec des produits plus sophistiqués. En outre, ma grand-mère a toujours bu des cocktails ; elle a beaucoup voyagé et c'était quelque chose de classique à la maison. Je savais réaliser un Dry Martini dès l’âge de 11 ans, car elle en buvait à l'apéritif - même un Old Fashioned - et elle aimait m'emmener dans les bars de palace. Il s’agissait donc d’un univers qui m’était en partie familier et dont je percevais l’essor possible à Paris.

L’emplacement rue Hautefeuille se prêtait à mon projet du Castor Club. Je me suis formé en lisant beaucoup - j'ai une collection conséquente de livres de cocktails à la maison - sur les spiritueux en général, leurs origines ; et puis j'ai aussi bu beaucoup de cocktails. Je savais tenir un bar, le gérer, et la création de cocktails est venue assez vite. Par la suite, l’expérience aidant, si l’idée de départ est assez forte, il est possible de créer des recettes sans trop toucher aux bouteilles, assis à son bureau avec un crayon.

Une scène bar libanaise marquée par les Etats-Unis

J’ai commencé à boire des cocktails là-bas il y a 20 ans et j’ai toujours connu d’imposants back bars. Il n’y avait pas forcément des spiritueux de grande qualité - typiquement quinze vodkas différentes – mais avoir beaucoup de bouteilles faisait partie de la déco d’un bar.

Pour moi, c’est influencé par les Etats-Unis où même dans un petit dive bar, on peut trouver entre 50 et 70 bouteilles derrière le comptoir.

Étonnamment, malgré tout ce qui se passe, les restaurants et les bars continuent d’ouvrir.au Liban. Ces lieux sont souvent fréquentés par des clients issus de la diaspora qui reviennent pour les vacances et sont à la recherche de ce qu’ils connaissent dans leur pays de résidence.

Par conséquent, on trouve des établissements tout de même assez précis - comme Kissproof, dont l’adresse beyrouthine s’est dédoublée à Paris l’an passé.

En règle générale, les bars essayent d’intégrer, dans une certaine mesure, des ingrédients du terroir dans leurs recettes : fleur d’oranger, gomme arabique, zaatar, infusions avec des herbes locales ou un excellent sirop de mûres local. En revanche, l’arak n’est pas souvent utilisé en cocktail, sauf dans quelques petits endroits.

Il faut savoir qu’au Liban, il y a toujours eu un grand amour de la sortie : aller au restaurant, boire un verre, aller en boîte le week-end, cela fait vraiment partie de la vie.


📍
Castor Club : 14, rue Hautefeuille ; 75006 Paris
Ouvert du mardi au samedi.

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