Un menu autour de la saisonnalité pour mettre en valeur un ingrédient
"A Sense of Place" est la devise du groupe Rosewood, c'est-à-dire faire vivre une expérience locale à nos clients.
A l’échelle du bar, nous avons souhaité nous focaliser sur le thème des saisons en partant d’un unique élément, c’est-à-dire donner le meilleur des ingrédients quand ils sont à leur pic de saisonnalité, d’où la formule : « A Sense of Taste ».
Le processus créatif est le suivant : nous sélectionnons d'abord l'ingrédient, la trame principale. On vérifie sa disponibilité tout au long de la saison, l’absence de micro-saisonnalité qui rendrait les choses compliquées. Une fois la liste achevée, les bartenders de l'équipe choisissent parmi les éléments retenus lesquels ils souhaitent travailler, puis le type de cocktail. Enfin, on détermine quel spiritueux semble s’accorder le mieux à l’ensemble et nous créons les premières recettes papier.
Cette étape validée, on lance les premiers essais pour feedback. Bien sûr, certaines recettes avaient du mal à trouver une issue favorable, comme le Lemon Thyme par exemple. Et, contre toute attente, ces dernières figurent – selon moi - parmi les plus réussies du nouveau menu.
Nous n’avons pas encore travaillé toutes les saisons, mais il me semble que l'été sera la période la plus simple - grâce à la profusion de fruits disponibles -, même si ma préférence va à l’automne, avec les figues, les champignons, les noix, c’est-à-dire des notes un peu plus complexes, voire oxydatives.
Cependant, la saison n'intervient pas particulièrement quant aux types de cocktails présents sur la carte. Notre équipe s’efforce de proposer le même nombre de cocktails du même style à chaque menu : longs, courts, avec des bases de Manhattan, Old Fashioned… De même pour le degré d'alcool : on ne privilégie pas le low ABV en été par rapport à l’hiver. Nous ne proposons qu’un seul drink dans cette catégorie - en l'occurrence le Tomato cette saison – assorti de quatre cocktails miroirs sans alcool.
Le bar a ses propres fournisseurs, en autonomie par rapport à la restauration de l’hôtel. Quant à la glace, nous avons recours aux services de The Nice Company (NDLA : le bar Les Ambassadeurs a été le premier client de l’entreprise).
Un carte thématique pour faire vivre l’expérience palace
Pour un bar de palace, il me semble important de proposer un menu thématique. En effet, nous ne sommes pas un bar du quotidien, par conséquent, nous devons faire vivre une expérience aux clients, et la carte a son rôle à jouer dans cette perspective.
Le support lui-même compte, et notre menu a fait l’objet d’un travail de design en mettant à profit l’intelligence artificielle pour créer une image abstraite représentant les saveurs de chaque cocktail.
Néanmoins, dans l’absolu, je ne suis pas certain que cela soit primordial d’avoir un menu à thème dans un bar hors palace. Des menus reposant sur des feuillets avec une sélection qui change quotidiennement, certains établissements font cela très bien ; je pense notamment à mon bar préféré : Satan’s Whiskers à Londres.
En revanche, avoir un fil conducteur, une ligne directrice me paraît essentiel, notamment en termes de « branding » et de cohérence.
Sur l’ensemble des ventes du bar, la moitié correspond à des cocktails, dont une majorité de créations. Cependant, au sein de l’équipe, nous avons une bonne culture de classiques, c’est un peu notre empreinte. Même dans le cadre de nos créations, notre carte se réfère volontiers à des classiques. En effet, quand on propose des recettes un peu moins consensuelles, cela permet à la clientèle d’avoir un point d’ancrage pour se laisser tenter plutôt qu’énoncer une liste d’ingrédients susceptibles de faire peur.
A cet égard, il est amusant de comparer les différences de commandes entre la clientèle américaine – volontiers portée vers les drinks spirit-forward (ie. Manhattan, Martini) – et les parisiens, plus enclins à l’amertume (Spritz divers ou Negroni).
Une scène parisienne de bars de palace perfectible
Je pense qu’on est un peu tous à la traîne par rapport à ce qui se passe à l’étranger. Je ne connais pas la réalité dans chacun des établissements - et ce n’est que mon humble opinion - mais il me semble que la scène parisienne de palace n’a pas encore compris l’importance d’un Bar Program complet.
Peut-être est-ce moins culturel : les clients vont moins dans les hôtels pour boire des verres et, par conséquent, cela ne vaut pas la peine d’investir dans les Bar Programs des établissements.
Pour qu’un changement intervienne, peut-être faudrait-il des personnes venant de l’étranger, que l’on s’inspire de ce qui se fait ailleurs et que l’on donne plus de pouvoir au bar, un peu comme cela se pratique avec la cuisine.
En outre, la scène parisienne reste très chère et pas très accessible. Il est vrai qu’il serait difficile de communiquer sur le fait d’être le palace le moins cher : le consommateur risquerait de penser que cela se fait au détriment de la qualité de l’offre.
Au Crillon, j’ai la chance d’avoir un General Manager qui nous fait totalement confiance. Par exemple, j’ai le choix de mes spiritueux et cela nous laisse plus de flexibilité pour créer.
Comparativement, c’est très culturel à Londres de sortir dans un hôtel et cela reste accessible. Certes, les prix ont tendance à augmenter avec l’inflation, mais il en va de même pour les street bars.
Hormis cette explication culturelle, l’on donne aussi plus de pouvoir au Beverage Program globalement dans les hôtels londoniens, car ils ont compris comment cela fonctionnait pour avoir des bars sachant se distinguer.
Il y a une forte concentration d’hôtels dans la ville et, pour se diversifier, c’est important d’avoir des Beverage Programs aussi solides que le Food Program. L’un n’empiète pas sur l’autre et l’on peut, ainsi, rayonner dans les deux secteurs.
Quand on y pense, le Savoy dans les années 2010, avec Erik Lorincz, c’était quelque chose ! Je trouve toujours des sources d’inspiration dans les bars d’hôtels lors de mes voyages là-bas.
Parcours et fonction de directeur de bar
Ma découverte du milieu des bar à cocktails - il y a dix ans - est un pur hasard. Devant travailler un peu après le bac, j’ai débuté dans la restauration, mais le bar était le seul univers qui me faisait un peu vibrer à l’époque.
Je suis parti suivre une formation à l’étranger et j’ai démarré ma carrière dans les pubs. Voulant toujours mieux faire, de fil en aiguille, mes expériences m’ont transporté au Andy Walhoo où j’ai appris beaucoup de ce que je sais aujourd’hui.
Par la suite, j’ai vécu deux ans à Londres, où j’ai eu la chance de faire l’ouverture de Swift et de travailler également pour Tom Aske et Tristan Stephenson à Black Rock - un whisky bar – ainsi qu’au London Edition, un bar d’hôtel.
Mon retour à Paris s’est d’abord fait au Forum, avant de participer à l’ouverture de Soho House. Cette dernière expérience, par l’envergure de la tâche, m’a beaucoup appris en terme de gestion opérationnelle pointue.
Aujourd’hui, ma fonction de directeur du bar Les Ambassadeurs consiste à avoir la responsabilité de l’opération dans sa globalité, dont la partie administrative, alors qu’un chef barman s’occupe, lui, vraiment du bar sous un angle plus créatif.
Notre chef de bar, Arnaud Volte, est arrivé fin août-début septembre et a donc été beaucoup plus impliqué dans ce menu de printemps que dans le précédent - pour lequel j’avais été plus directement partie prenante.
Cela fait un an et demi que je suis arrivé au Crillon, et s’il y avait des manques, désormais l’équipe est complète depuis plus d’un an. C’est une satisfaction. Les bonnes conditions de travail chez nous sont un atout de ce point de vue. Ce qui me motive et m’anime dans mon métier de manager, c’est de faire évoluer les personnes, les membres de l’équipe.
Les Ambassadeurs, Hôtel de Crillon
10, Place de la Concorde ; 75008 Paris
Ouvert tous les jours de 17h à 1h du matin.